#15 L’implantation coloniale au Gabon : la résistance d’un peuple – (Partie 1) Nicolas Metegue N’nah

Aujourd’hui, on va sauter dans une machine à remonter le temps. Mettez vos ceintures!!!

Si avez lu cet article publié dans un passé lointain (ici), vous savez que mon chapitre préféré était celui qui parlait de foyers de résistance à la colonisation qu’il y a eu dans l’espace qui est aujourd’hui notre pays. C’est un chapitre très peu abordé de notre histoire, et je ne me souviens pas en avoir entendu parler tout le long de mes années de secondaire. Aujourd’hui j’ai enfin l’occasion de me plonger en détail sur le sujet, et je vais donc partager ça avec vous.

nnahcover
Couverture et 4ème de couverture (source : L’Harmattan.fr)

Ce livre n’est pas récent: il a été publié en 1981. Dans les remerciements au début, il cite les paroles d’une chanson d’Akendengué. Rappel important : à cette époque, les cris de l’opposition au régime du parti unique d’Omar commencent à monter, et le chanteur est réfugié politique en France (il ne rentrera au Gabon qu’en 1985). Selon moi, le message politique de l’auteur n’est pas difficile à déchiffrer : en démontrant la résistance passée du peuple, c’est une leçon de courage qu’il veut donner aux résistants de son époque. Comme il le dit dans l’introduction:

[…]Une étude […] de la lutte du peuple gabonais contre l’oppression coloniale ne présente un intérêt certain que dans la mesure où, par sa profondeur, elle permet au lecteur de saisir pleinement les enseignements que renferme l’expérience rapportée.

Ca peut sembler ridicule comme ça, d’avoir à rappeler que notre peuple a été résistant, mais ça ne l’est pas du tout. Je m’explique. Les africains en général, et les gabonais en particulier, sont décrits dans le récit « populaire » de la colonisation comme peu combatifs, ou s’étant rapidement soumis aux Européens. Evidemment, c’est totalement faux, parce que il n’y a pas un seul endroit, je dis bien pas un seul, où les autochtones ne se sont pas battus férocement contre les colons. Mais le lavage de cerveau et la violence psychologique dont les colonisés ont été (sont?) victimes font que nous ne sommes pas forcément au courant de cette partie de l’Histoire. Alors on est bien contents que le Dr Metegue N’nah remette les choses au clair, preuves à l’appui.

yes-yes-1

Dans la première partie intitulée « L’établissement de la domination coloniale française au Gabon », l’auteur explique comment progressivement, après la défaite française contre la Prusse en 1870 et le début de la Révolution Industrielle, un mouvement dit « coloniste » mené par Jules Ferry (aka Monsieur Ecole-obligatoire-et-gratuite-pour-tous) et Paul Leroy-Beaulieu (auteur de « De la colonisation par les peuples modernes« ) incite la France à « une expansion outre-mer qui devait lui permettre d’accroître sa puissance économique et son prestige » (p.16). En effet, « nos ancêtres les Gaulois » n’étaient pas les seuls à vouloir un morceau du monde et de l’Afrique en particulier. Toutes les grandes puissances européennes étaient à l’affût de nouveaux territoires. Et si c’est seulement en 1884 à la conférence de Berlin que le « gâteau Afrique » a été officiellement partagé (toujours selon la version officielle), les opérations de reconnaissance et d’exploration ont commencé bien plus tôt.

Kongokonferenz 1884 / Franz.Karikatur - Congo Conference 1884/ French caricature -
Caricature de la Conférence de Berlin

Ainsi, jusqu’à la fin du 19è siècle, de nombreuses explorations « scientifiques » sont menées à travers le territoire, en suivant notamment le cours des fleuves (Ivindo, Komo, Ngounié, Ogooué). Les plus célèbres étant les explorations de Pierre Savorgnan de Brazza et de Paul Belloni du Chaillu. Si le prétexte pour ces voyages est la science, en réalité ce sont des opérations de repérage pour de potentielles ressources économiques exploitables par les Français. Et dans le même temps, des traités d’occupation étaient signés avec les chefs locaux. Le premier d’entre eux, et donc le plus célèbre est celui signé entre Bouët-Willaumez et Antchuwè Kowè Rapontyombo dit le « Roi Denis », qui attribuait à la France une partie de la rive gauche du Komo. Pour la plupart, ces traités « n’étaient même pas ratifiés en France et ne représentaient absolument rien« (p.24). Leur schéma était relativement simple, et était toujours le même. Essentiellement, chaque traité comportait ces trois éléments(p.26):

  • « la manifestation du désir, éprouvé par le chef intéressé de resserrer les liens d’amitié qui l’unissent à la France »
  • « le devoir de mettre à la disposition de l’autorité coloniale tout terrain choisi pour la construction d’un établissement »
  • et un « dernier paragraphe qui établissait la souveraineté de la France sur le territoire en question »

Les chefs signataires étaient grassement récompensés : ils recevaient des produits occidentaux (armes, poudres, étoffes) qui étaient évidemment considérés très luxueux, et « une coutume », une sorte de salaire. C’était officiellement une compensation « du préjudice financier causé aux chefs par la suppression du commerce des esclaves qu’impliquait la signature du traité avec la France »(p.28-29). En réalité, la coutume était surtout un moyen de pression et n’était distribuée qu’aux chefs soumis et dociles. Oui, car il fallait « céder son territoire au colonisateur mais encore se tenir bien tranquille et rester soumis. »(p.29)

Les Européens s’étaient majoritairement limités à la côte depuis l’arrivée des Portugais sur nos terres au 15ème siècle. Pour contourner le rôle intermédiaire des peuples côtiers, ils vont s’installer dans l’intérieur du pays afin de faciliter leurs échanges commerciaux avec les peuples concernés. Ainsi, des factoreries sont mises en place par les Français, les Anglais et les Américains un peu partout dans le pays. Je ne vais pas m’étaler sur cette partie, mais je vais juste partager deux citations directes qui selon moi résument bien le sujet:

Concernant le futur rôle du Gabon comme colonie d’exploitation (rôle que l’on tient toujours, soyons sincères)

[…] L’insertion des régions qui forment actuellement le Gabon dans l’économie mondiale s’est traduite, bien avant la période coloniale, par une spécialisation de ces dernières dans le rôle de réservoir de matières premières et de débouché pour les produits manufacturés de l’industrie occidentale. (p.31)

« Ces compagnies étaient en effet des entreprises commerciales qui ne firent aucun investissement dans le pays et qui se livrèrent exclusivement au commerce du caoutchouc et de l’ivoire. » (p.37)

Les Français étant l’autorité coloniale sur place et voulant assurer le monopole et la protection de leurs entreprises, ont ensuite procédé à la mise en place d’une véritable administration coloniale. Si au départ, la colonie était une dépendance du lointain Sénégal, des postes se mettent en place un peu partout, et en 1909, le pays est officiellement « divisé en 20 circonscriptions […] composées au total de 38 subdivisions. » (p.45). Pour gérer ses nouveaux territoires administratifs, comme toute autorité coloniale qui se respecte, la France a mis en place de troupes armées, dès 1887. Oui, c’est le moment où je vous rappelle que la police est une institution coloniale qui a pour but de protéger les intérêts des colons, notamment économiques. Capitalisme, exploitation, extraction des ressources naturelles… Vous connaissez la chanson. Si vous ne connaissez pas, je vous raconterai une autre fois. La nécessité de ces troupes armées (bien entendu séparées en deux groupes, les indigènes d’un côté et les citoyens français de l’autre, faut pas déconner) devient pressante. Pourquoi? Tout simplement parce que l’extension du pouvoir colonial signifie la réduction des institutions traditionnelles des autochtones. Comme on l’a souligné plus tôt, les traités signés entre la France et les dirigeants locaux donnaient lieu à une compensation financière pour les chefs. Et si la France était plus encline à verser la coutume aux chefs dociles, très vite, la puissance coloniale s’est impliquée dans le choix des chefs. Finie, l’époque où les chefs « détenaient leur pouvoir du peuple qui les avait élu » (p.47). Désormais, « les autorités coloniales choisissaient  toujours le candidat qui leur semblait le plus aisément maniable et le plus disposé à faciliter l’œuvre de la colonisation. […] Ces chefs devenaient de simple auxiliaires de l’administration coloniale. »(p.’48). Je ne sais pas pour vous, mais si ce n’est pas la preuve que la France est un pays qui tient à ses traditions! Tout ça se déroule à la fin du 19ème siècle, mais je doute fort que toute ressemblance avec des événements plus contemporains soit fortuite…

6c8qw6

Sans surprise, en réduisant à néant la souveraineté des populations locales en matière de choix de leurs dirigeants, c’est donc petit à petit tout l’ensemble du fonctionnement des sociétés qu’on détruit. En plus de s’immiscer dans les affaires politiques, les colons français vont se mettre à exploiter les habitants du Gabon de toutes les manières possibles et imaginables: c’est la redevance coloniale. Pour faire court, il s’agit de mettre en servitude les autochtones. L’un des actes de redevance les plus utilisés était le portage, parce que avant de construire les routes et les hôpitaux, toujours cités avec entrain par les défenseurs des « bienfaits de la colonisation », le transport se faisait à dos d’homme. Parfois en pirogue certes, mais toujours sous la bonne conduite des locaux qui étaient les pagayeurs. Plus tard, vint la corvée: l’obligation de réquisitionner des hommes pour assurer l’entretien des routes. (Est-ce que c’est de là que vient notre réticence à avoir un réseau routier digne de ce nom?) Très vite aussi, les colons réclament un impôt à leurs administrés. Et attention, si on ne paye pas cet impôt, la punition est vite arrivée! A partir de 1900, le Code de l’Indigénat est institué sur notre territoire, légalisant par son existence les nombreux abus qui existaient déjà bien avant son introduction. Bref, en moins d’une cinquantaine d’années, les populations de ce qui va devenir le Gabon voient leur vie changer de manière assez radicale, de plus en plus soumises à la violence des Européens qui ne sont là que pour se faire de l’argent répandre la civilisation.

C’est à cause de tout ça que dans différentes parties du pays, des gens se sont soulevés pour dire NON aux abus de « Nos ancêtres les Gaulois ». Mais ça, on en reparlera dans la partie 2 de cet article.

Est-ce que la lecture de cet article vous a appris des choses sur la colonisation? Quelle est l’info qui vous a le plus surpris?

Sur ce, je lève l’encre.

XOXO, Miss K

Save
Save